Mercredi 13 novembre, Jean-Michel Hellio, docteur en études cinématographiques et programmateur de l’association Ciné Cinéma, partenaire de notre CPGE, a tenu au lycée Bertran-de-Born une conférence de deux heures devant les étudiants de philosophie et de l’option Cinéma et audiovisuel (en hypokhâgne) et de la spécialité Lettres Modernes (en khâgne). Leurs professeurs de Lettres Modernes, Yann Lisoie, de Cinéma et audiovisuel, Nathalie Mauffrey, et de Philosophie, Donatienne Duflos de Saint-Amand, les ont accompagnés.
Cette conférence « Filmer le temps au cinéma » vient clore un cycle de projection de trois films, les 10 et 15 octobre puis 12 novembre au cinéma CGR qui jouxte le lycée : Metropolis de Fritz Lang (1927), Memento de Christopher Nolan (2001) et L’Armée des douze singes de Terry Gilliam (1995), lancée par le vernissage aux Archives de Périgueux de l’exposition « De Jules Verne aux Cités obscures » dans le cadre du 35e Festival Bande Dessinée en Périgord.
Le scénariste Benoît Peeters et le dessinateur François Schuiten des Cités obscures nous ont fait l’honneur de lancer la projection du chef-d’œuvre de Fritz Lang dont les décors futuristes ont très fortement nourri leur imaginaire. Il faut dire que cette ode au rythme de la modernité, dont cette cité dystopique de Metropolis est le symbole, est devenue un modèle du film urbain et le premier film de science-fiction de l’histoire du cinéma qui compta dans son équipe technique l’inventeur de l’effet Schüfftan*. L’idéologie plus ambiguë du scénario écrit par l’épouse du cinéaste et future sympathisante de l’idéologie nazie, Thea von Harbou, a été l’occasion pour les étudiants de « Français et Philosophie » de CPGE Sciences, invités pour cette séance par leur professeur Nathalie Mauffrey, d’approfondir leurs réflexions sur le thème « Individu et communauté » qu’ils ont cette année au programme.
Après ce ballet d’une foule révoltée et pourtant trop docile, c’est ensuite le point de vue unique, cette fois, d’un personnage névrotique souffrant d’une amnésie antérograde que nous avons suivi dans le thriller Memento, qui ouvrit à Christopher Nolan les portes d’Hollywood. Dans ce récit dysnarratif, aux accents wellesiens, qui alterne deux versants du même récit, l’un en couleur inversant le temps jusqu’au meurtre inaugural, l’autre en noir et blanc retraçant chronologiquement l’enquête sur le meurtre de sa femme qui explique le premier règlement de compte, les preuves du réel que le héros fixe sur ses polaroïds et tatoue sur son corps, ne révèlent pas l’identité du meurtrier, mais une autre vérité : le temps au cinéma est une matière que l’on sculpte, tisse et densifie, pour faire écran.
C’est sur cette même boucle temporelle autour de photographies, à la fois passées et futures, à commencer par le photo-roman, La Jetée de Chris Marker (1962) qui inspira Terry Gilliam, que le long métrage de science-fiction, L’Armée des douze singes, est construit. Ce film baroque, lui aussi saturé de références, symptôme d’une crise identitaire, tisse les temporalités au point que, tel un ruban de Moebius, l’enquête sur l’origine d’une épidémie qui a dévasté la planète, déclenche elle-même l’épidémie sur la jetée d’un aéroport où commence et se termine le film.
Ce cycle a constitué ainsi un prolongement utile aux réflexions de nos étudiants menées en cours, pour les étudiants d’hypokhâgne sur le rythme des symphonies urbaines dans le cinéma expérimental, la pensivité et l’ontologie de l’image photographique au cinéma ; ainsi que sur l’essence des choses que Platon nous invite à trouver en dehors du temps dans Le Banquet, la matérialité du temps et de l’histoire qui fonde le politique selon Machiavel et une conception spatialisée du temps, opposée par Bergson au temps vécu comme expérience intérieure et psychologique de la durée, en philosophie. En spécialité lettres modernes, les étudiants de deuxième année ont analysé, à travers différents textes (extraits d’Artamène ou Le Grand Cyrus de Madeleine de Scudéry, des Lettres de l’année 1671 de Madame de Sévigné, des Confessions de Rousseau et surtout de La Route des Flandres de Claude Simon) comment la littérature racontait et reconstruisait le temps, selon des modalités souvent proches, mais parfois différentes, du cinéma. Un beau travail interdisciplinaire que nous poursuivrons dans de prochains cycles !
*Sur cet effet, voir : https://neelnajaproduction.com/leffet-schufftan-comment-faire-un-fantome-ou-allonger-un-decor/