Rencontre autour de Virginia Woolf

Ce jeudi 23 novembre 2023, les hypokhâgneux de la CPGE Lettres de Bertran de Born et leurs homologues spécialistes d’anglais en khâgne ont répondu à l’invitation du Lycée Camille Julian et ont assisté à une conférence sur Virginia Woolf à l’Espace Ausone de Bordeaux. Après une introduction de Jean-Michel Devésa, Professeur des universités, trois intervenants ont discuté en table ronde les multiples facettes de l’ icône du modernisme anglais.

Anne Besnault, Maître de conférences en études anglophones à l’Université de Rouen, a tout d’abord évalué la place cruciale de Virginia Woolf dans le tournant moderniste, mouvement dont le manifeste implicite vient trouver ses principes dans les essais de la femme de lettres. En passant en revue la bibliographie foisonnante et protéiforme de l’autrice, Anne Besnault a pu esquisser les points saillants de cette révolution artistique. Elle a par ailleurs montré que dans ses essais en particulier, par le brouillage du « je » et du « nous », Woolf établit une conversation toute démocratique avec le lecteur, confrontant ainsi sa subjectivité au monde. À la lumière de sa fin tragique, on peut alors gager que pour Woolf l’écriture constitue un engagement fort pour articuler ce que l’artiste désigne par « Life itself », un Être au monde qui se fait sous le signe de l’éclatement et de la complexité.

Une tout autre approche était adoptée par Jean-Rémi Lapaire, Maître de Conférences à l’Université Bordeaux Montaigne et angliciste spécialiste en linguistique cognitive. En se fondant sur une brève analyse stylistique de certains passages de la nouvelle « A Sketch of the Past » (in Moments of Being, publication posthume), l’universitaire a fait le constat que le texte woolfien, notamment lorsqu’il narre ces moments de révélation quasi épiphaniques ancrés dans des sensations très intenses que sont les « moments d’être », articule le sensoriel et l’intellectuel, le physique et le métaphysique. L’abstrait se voit ainsi traité comme matière, substance ou parfois peinture quasi liquide dont la substance permet de dévoiler les tréfonds de l’Être. S’appuyant sur une telle démonstration, Jean-Rémi Lapaire a alors mis en scène un extrait de Mrs Dalloway en associant gestuelle et parole afin de rendre au texte sa part de sensoriel. Ce faisant, il a ainsi illustré l’approche peu conventionnelle de sa didactique par laquelle l’analyse littéraire se fait « par-corps » . De la même manière qu’il propose un enseignement de l’anglais fondé sur une grammaire chorégraphiée, les étudiants qu’il rencontre en ateliers sont invités à jouer en tableaux vivants les textes littéraires qu’ils abordent afin de retrouver la dynamique des mots.

Une intervention non moins originale était proposée par Valérie Croisille, Maître de Conférences en études anglophones à l’Université de Limoges. Celle-ci a choisi d’apporter un éclairage sur le bestiaire de Woolf, en particulier la propension quelque peu déroutante qu’a la romancière à mettre en scène les personnages de chiens, comme c’est le cas dans le roman Flush , œuvre considérée comme une biographie fictive de la poétesse Elizabeth Barrett Browning du point de vue de son cocker Flush. Plus qu’une biographie réelle et au-delà du « gag » littéraire, l’universitaire voit notamment dans ce roman qui bouscule les canons un exercice moderniste, Woolf se posant le défi de traduire, d’interpréter une intériorité non-humaine dans les limites du langage humain. Tout en réhabilitant la part d’animalité constitutive de tout être humain, la romancière re_ tisse, par le biais de l’écriture, cette animalité dormante au sein-même de notre nature. Enfin, alors que le roman fait parler la créature muette, transparaît aussi la persona de l’autrice féministe qui se fait porte-voix de ceux qui en sont privés.

Tous nos remerciements vont aux organisateurs de cette rencontre, en particulier M. Daniel Truong-Loï, professeur de philosophie en CPGE Lettres au Lycée Camille Julian de Bordeaux . Les étudiants de Bertran de Born ont apprécié cette virée bordelaise qui les a fait rentrer en contact avec le monde de la recherche. De tels événements demandent à être répétés !

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